ELVIRA AU THÉÂTRE DE L’ATHÉNÉE
Il lui dit de faire le vide pour mieux ressentir le texte, de se méfier du corps qui suit le geste. Il l’engage aussi à se défier de l’orgueil et de l’exhibitionnisme pour mieux se concentrer sur la présence et la primauté du sentiment. Lui, c’est Louis Jouvet, devenu professeur au Conservatoire national d’art dramatique bien qu’il en ait manqué trois fois le concours d’entrée. Elle, c’est Claudia, son élève, qui s’appelait en vérité Paula Dehelly et obtint un premier prix d’art dramatique avant que les Nazis ne lui en interdisent d’en profiter, parce qu’elle était juive et que cette histoire se passe à Paris en 1940. Ils répètent la célèbre scène « des adieux d’Elvire », où cette dernière supplie Don Juan de mettre fin à ses excès comme à ses offenses, afin de calmer la colère divine et d’éviter le châtiment du Ciel qui s’apprête à fondre sur lui. Claudia a la bouche qui tremble et les yeux qui brillent. Mais elle a du mal avec cette scène, elle qui ne croit pas à l’Enfer… Alors Jouvet lui conseille de penser à quelque chose qui pourrait lui inspirer une peur équivalente, lui pour qui « le but du théâtre ne peut pas être une recherche d’ordre intellectuel, mais plutôt une révélation d’ordre sentimental ». Suivent une série d’analyses sur la psychologie d’Elvire et de Don Juan et sur l’écriture de Molière, le tout formant comme un petit traité sur la direction d’acteur, où le maître prône notamment : « celui qui vient délivrer un message malgré lui, ce pourrait être une définition de l’acteur ».
Et cela malgré la barrière linguistique qui, il est vrai, rend le spectacle extrêmement exigeant pour les personnes ne pratiquant pas la langue savoureuse de Pirandello. Aussi exigeant, peut-être, que le professeur Louis Jouvet l’était à l’égard de ses élèves… Mais l’attention du public est telle que les qualités d’écoute sont optimales et le fait qu’elle passe si bien en italien prouve que la parole de Louis Jouvet, parfaitement retranscrite par Brigitte Jacques-Wajeman, est universelle. On en vient même à se dire, une fois les chaleureux applaudissements passés, que ce texte pourrait bien devenir, au fil des décennies, une œuvre classique, que Jouvet définissait comme « une pièce d’or dont on n’a jamais fini de rendre la monnaie ». Allez donc dépenser quelques sous en marchant ou courant jusqu’au théâtre de l’Athénée, afin d’y recevoir une pure leçon de théâtre, dans tous les sens du terme.
À l’Athénée Théâtre Louis-Jouvet à Paris
Du 5 au 14 décembre 2019
Texte de Brigitte-Jacques-Wajeman tiré de Molière et la comédie classique de Louis Jouvet ; mise en scène de Toni Servillo
avec Toni Servillo, Petra Valentini, Francesco Marino et Davide Cirri